N’Zérékoré : application de la charia, réseaux sociaux et procès

Article : N’Zérékoré : application de la charia, réseaux sociaux et procès
Crédit: Mamady 2 CONDE
2 juin 2022

N’Zérékoré : application de la charia, réseaux sociaux et procès

Mon récit sur l’administration de 100 coups de fouet à une jeune fille par un imam dans une mosquée à N’Zérékoré, en février 2022, a été amplifié par le réseau social Facebook. L’écho est parvenu jusqu’aux oreilles du procureur près le tribunal de première instance de N’Zérékoré. Le religieux a été jugé et condamné des faits de « coups et violences volontaires ».

Le factuel

Je partage ci-dessous, le texte que j’ai écrit et publié sur mon compte Facebook, le dimanche 13 février 2022.

« Loi islamique : une fille fouettée dans une mosquée pour fornication après son aveu

Hier samedi, après la prière de 20h00 à la grande mosquée d’Angola à N’Zérékoré, l’imam cite le verset 2, sourate 24 du saint Coran : « La fornicatrice et le fornicateur, fouettez-les chacun de cent coups de fouet. Et ne soyez point pris de pitié pour eux dans l’exécution de la loi d’Allah -si vous croyez en Allah et au Jour dernier. Et qu’un groupe de croyants assiste à leur punition. »

Après quelques commentaires, le religieux informe qu’une fille non mariée ayant eu des relations charnelles avec quelqu’un, doit subir publiquement les rigueurs de cette loi islamique.

Un muezzin fait sortir une natte qu’il étale dans la cour de la mosquée. Une adolescente apparait, de teint clair, portant un voile qui ne couvre pas son visage. Elle se couche sur son côté droit. L’imam lui administre 50 coups de fouet. La fille se retourne son flanc gauche. L’imam change aussi de position et lui donne 50 autres coups de fouets sous le regard de plusieurs fidèles.

Pendant la flagellation, l’imam avec son fouet souple n’a pas lever haut la main. Et l’adolescente ne s’est pas tordue ne douleur. Elle n’a ni gémi, ni pleuré.

Pendant que la foule se disperse, je me pose des questions. Les relations charnelles impliquent un homme et une femme. Où est donc l’homme co-auteur de la fornication ? Pourquoi n’a-t-il pas aussi été fouetté ?

J’approche alors un sage de la mosquée qui est un voisin. Il me dit que c’est la fille qui s’est présentée elle-même pour avouer son péché. Quant à l’homme, il ne s’est pas identifié. Le vieux m’informe que, généralement, seules les femmes se déclarent.

« Puisque la fille a eu le courage de se confesser et de se faire punir, elle doit en tirer toutes les leçons pour éviter de recommettre ce type de péché », dis-je au sage qui acquiesce.

Puisse Allah pardonner à cette fille !

C’était ma première fois d’assister à une telle scène.

Nous sommes tous des pécheurs. Combien d’entre nous décidons de nous confesser devant Dieu et nos religieux pour nous faire appliquer la loi islamique ? »

L’effet de Facebook

Comme d’habitude, j’aime partager sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, ce que j’observe autour de moi. C’est pourquoi, j’avais relaté ce fait, en tant témoin oculaire.

Suite à ma publication sur Facebook, un reporter du site www.africaguinee.com m’a appelé pour se rassurer à propos de l’information, avoir des renseignements précis sur les lieux afin qu’il puisse s’y rendre. Comme lui, d’autres journalistes sont allés à la source.

Un autre s’est contenté d’exploiter mon texte publié pour rédiger un article pour son site.

Il faut dire que le sujet était tout à fait singulier : l’application publique de la charia dans une République laïque, la Guinée.

Mon post a recueilli 66 mentions, 73 commentaires et 9 partages sur des profils et dans des groupes.

Le procès et la condamnation de l’imam

Des réseaux sociaux aux sites d’information, l’information est parvenue au tribunal de première instance de N’Zérékoré. Le procureur près ce tribunal, Sidiki Camara s’est saisi du dossier et a interpelé l’imam Ismaël Sanoh qui a fouetté une jeune fille, « coupable » de fornication.

« Après ce châtiment, la fille s’est enfuie. Mais, les échos des 100 coups qu’elle a reçus ont très vite fait le tour de la ville de N’zérékoré. Certains fidèles qui étaient présents à la mosquée de Horoya2 au moment des faits avaient aussi filmé la scène et posté la vidéo sur les réseaux sociaux. Et, finalement, l’affaire est parvenue aux oreilles du parquet du tribunal de première instance de N’zérékoré», a expliqué le procureur sur le site www.guineematin.com.

Au passage, je voudrais préciser que le procureur près le tribunal de première instance de N’Zérékoré, Sidiki Camara a été mal informé. Ce soir-là, je n’ai vu personne filmé la scène. Et l’imam n’a pas non plus « fait appel à des gaillards pour tendre la fille », comme rapporté par le procureur. Je l’ai bien relaté dans ma publication, la fille s’est allongée elle-même.

Pour revenir à l’interpellation de l’imam, il sera accusé de « coups et violences ». A son procès le 23 février 2022, soit 12 jours après les faits, le religieux qui a plaidé coupable a été condamné à 18 mois de prison avec sursis.

La peine

Quand les ennuis judiciaires de l’imam Sanoh ont commencé, j’avais voyagé. C’est sur des sites d’information que j’ai appris l’interpellation du religieux.

J’avoue que j’ai été ému. J’ai eu de la peine pour lui. Dans mon for intérieur, je m’accusais d’être à l’origine de ces ennuis puisque si je n’avais pas relayé la flagellation de la jeune fille sur les réseaux sociaux, les faits n’auraient pas eu cette ampleur au point de déboucher au jugement et à la condamnation de l’imam.

Les jours suivant mon retour de voyage, à chaque fois que je me rendais à la mosquée et priais derrière cet imam, j’éprouvais un sentiment de pitié et de culpabilité. J’étais loin d’imaginer que ce post allait défrayer autant la chronique.

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